Article paru dans la rubrique idées sur lesEchos.fr le 09 septembre 2022
Le président et le vice-président du think tank Etienne Marcel estiment que l’économie de la bienveillance est un levier efficace pour, sans naïveté, mais avec volontarisme, mobiliser les parties prenantes de l’entreprise et assurer son développement durable.
Avec près de 7 % d’inflation sur un an, une crise énergétique majeure, des tensions un peu partout sur le marché du travail et un pouvoir d’achat en berne, il pourrait être tentant de reporter à demain les transformations utiles pour ne concentrer son regard que sur la gestion du très court terme.
Faire le gros dos et attendre des jours meilleurs reste évidemment une option. Mais elle aboutit à sous-estimer gravement les mutations profondes à l’œuvre dans le monde de l’entreprise. D’une crise à l’autre, c’est tout le rapport du tissu productif à notre économie et notre société qui est bouleversé.
Transformer, ici et maintenant
Désormais, les entreprises françaises doivent être capables à la fois de démontrer leur autonomie stratégique, leur ancrage à un territoire et leur contribution à l’emploi local, mais aussi leur concours à la décarbonation.
Ce ne sont plus seulement de mots dont il est question, mais d’enjeux concrets et mesurables touchant à des objectifs ambitieux relevant de la souveraineté et du développement économique responsable, tant sur le plan sociétal qu’environnemental. Un nouveau modèle d’entreprise est en gestation et toutes les filières (du nucléaire pour préserver notre indépendance énergétique, jusqu’au numérique pour défendre notre souveraineté technologique en passant par l’automobile et l’aéronautique pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre) sont sommées de contribuer à son installation durable.
Dans tous ces domaines, les réglementations se multiplient et guident le plus souvent la stratégie et l’action des plus grands groupes. Les entreprises de taille moyenne et surtout les plus petites, moins astreintes que les autres au respect d’un arsenal juridique précis, se sentent pour leur part davantage démunies. On peut les comprendre. Après tout, comment savoir par où commencer quand on doit à la fois remporter la bataille industrielle et commerciale, innover toujours davantage, produire localement, se montrer plus inclusif et davantage soucieux de son impact environnemental ?
Un nouvel état d’esprit
Ce n’est pas que l’offre d’accompagnement fasse défaut. Elle prolifère. Ce n’est pas que les référentiels « RSE » manquent. Les modèles de certification abondent de toutes parts. Ce n’est pas que les TPE-PME ne veulent pas s’y mettre. Mais elles ne savent tout simplement pas toujours comment s’y prendre et quel sens donner à ces injonctions.
Pourtant, ce nouveau modèle d’entreprise qui émerge ne doit pas être regardé comme un ensemble d’ »obligations » nouvelles, de « référentiels » de plus ou de formalisme supplémentaire. Non, c’est d’abord et avant tout un nouvel état d’esprit ! Parce qu’une entreprise ne saurait être durablement prospère dans une société et un monde ne l’étant pas aussi, il intègre aux activités commerciales et aux relations avec les parties prenantes les préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance, de sorte de rester économiquement viable tout en ayant un impact positif sur cette société et ce monde.
Ce nouvel état d’esprit est à la rencontre entre l’efficacité économique et l’éthique. Entre la performance financière et commerciale, la bienveillance et la solidarité. Pour être plus forte demain et prospérer, l’entreprise doit être davantage bienveillante et ouverte. Tant la société – donc le marché – que l’individu – donc le collaborateur – aspirent à une transition vers un modèle économique de l’utilité sociale du travail et de l’accomplissement de l’entreprise comme de soi. Ainsi les salariés peuvent-ils être associés à la conduite des décisions et au bénéfice des résultats via l’actionnariat salarié et le partage des richesses. De même, rechercher la coopération des clients et des fournisseurs permet d’atteindre plus efficacement les buts de l’entreprise.
Cette nouvelle économie n’est pas une économie naïve […] C’est une économie protectrice, ambitieuse et bienveillante
Cette nouvelle économie n’est pas une économie naïve alors que les entreprises évoluent dans le délicat environnement de la mondialisation et des tensions observées dans les échanges commerciaux internationaux. C’est une économie protectrice, ambitieuse et bienveillante dans laquelle des alliances sont nécessaires entre l’employeur et ses salariés à l’intérieur de l’entreprise, et entre l’entreprise et le reste de l’économie et de la société. C’est une économie AVEC les autres et non contre eux. C’est une économie conquérante, mais solidaire. Nous aurions pu la qualifier « d’éthiconomie », mais nous préférons la formule « économie de la bienveillance ».
Bernard COHEN-HADAD, François PERRET
Bernard COHEN-HADAD et François PERRET sont respectivement président et vice-président du think tank Etienne Marcel. Ils sont également membres de la Société d’économie politique.